État d’urgence et Vigipirate : ne pas confondre

Très bon article de Boris qui souligne un point que, je suis sûr, on ne mesure pas assez dans les médias :

Soyons honnêtes : 100 % des français sont favorables à être protégés. Je pense qu’il y en a juste 25 % qui savent que ça peut se faire sans supprimer les libertés et 75 % qui l’ignorent et qui comprennent qu’on leur demande s’ils se sentiraient en sécurité sans protection…

Ce sondage ne mesure pas les soutiens à l’État d’Urgence mais le niveau de menace ressenti par les Français. Dans un contexte où nos politiques alimentent régulièrement la paranoïa en refusant de communiquer clairement sur la réalité de la menace, nous sommes impuissants, obligés de faire confiance, pour notre sécurité, aux mêmes personnes qui nous privent de nos libertés.

Or l’État d’Urgence est indépendant d’un niveau de sécurité. Il s’agit d’une période, censée durer 12 jours, qui donne à l’État des moyens supplémentaires pour lutter contre une situation exceptionelle, comme notamment une mise en parenthèse des droits de l’Homme.

Nous y sommes depuis 78 jours, l’État a mené 3000 perquisitions pour aboutir à 4 enquêtes liées au terrorisme et une seul mise en examen. Manuel Valls parle de prolonger l’État d’Urgence pour 30 ans, autant dire pour toujours.

3000 perquisitions.
4 enquêtes anti-terroristes.
1 mise en examen.

Plusieurs milliers de personnes violées dans leur intimité, des dizaines de personnes enfermées chez elles pour avoir pris des photos avec leur téléphone portable ou avoir des opinions différentes, privées de travail, d’étude, de vie familiale , ne pouvant se rendre à leur propre procès sans enfreindre cette assignation… pour une seule mise en examen  ?

Comprenez-moi bien : je ne dis pas que tous les gens concernés étaient blancs comme neige (c’est le principal argument qu’on m’a opposé). Je dis juste que ce n’est pas à moi ou à la Police d’en décider et que la Justice doit faire son travail indépendamment de l’exécutif. Mélangez les pouvoirs, et vous obtenez les fondements d’une dictature et une Police radicalisée qui me fait peur. Inscrivez tout cela dans la Constitution et vous offrez au prochain gouvernement radical des moyens qu’il n’aurait pas eu sinon.

Je reste persuadé que si tous les sondés savaient ça, le résultat ne serait pas du tout le même.

L’état d’urgence, en tant que mesure exceptionnelle, peut avoir du sens : mettons qu’il s’agissait, juste après les attentats, de fondre sur les nids de terroristes présumés et de profiter de l’effet de surprise. Mettons.

Maintenant, trois mois plus tard, on voit un certain nombre d’aberrations, notamment toutes les assignations d’écologistes aux alentours de la COP 21, bien commodes (L’état d’urgence permet la répression des mouvements sociaux, témoignent les militants).

Or en France pour protéger la population, on a Vigipirate. C’est un dispositif bien suffisant pour mettre la police partout, ce qu’on ne se prive pas de faire depuis vingt ans.

Curieusement, ces derniers jours, je vois à nouveau des déploiements de police très importants. À quelques jours du nouveau vote pour proroger l’état d’urgence, je me dis :

  1. que, comme on me l’a fait remarquer dans le cercle familial, ce ne sont pas les citoyens qui votent ;
  2. mais que, comme on le sait depuis la démocratie romaine, il vaut mieux que le groupe de votants vote selon le souhait de la population à un instant donné, c’est plus simple ;
  3. que plus on montre de forces de police et de forces armées, plus on entretient la peur.

C’est bon pour le vote à venir, ça, coco.

Le sondage cité est biaisé et Boris le montre très bien : ce n’est pas l’état d’urgence que veut le peuple (si seulement on lui expliquait encore mieux, mais il faudrait que les médias ne soient pas si souvent complices [1]), c’est la sécurité. Et la sécurité ne doit pas passer par une confiscation systématique du droit inscrite dans le temps, et plus gravement, dans la constitution.

Notes

[1Un exemple de manipulation complaisante décortiqué par Le Monde Diplomatique : Le code du travail, garant de l’emploi, par Rachel Saada.

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