Eschatôn, Alex Nikolavitch (Les moutons électriques)

Ça fait bien longtemps que je n’ai pas chroniqué ici un roman, et encore plus longtemps (jamais peut-être en ces pages ?) un roman de science-fiction. Et là je suis emballé.

(Totale transparence : Alex est un pote, mais ce n’est pas parce que c’est un pote que je vais me priver d’en dire du bien. Parce que c’est vraiment bien.)

J’avais déjà lu, du même Nikolavitch, L’île de Peter, une extrapolation assez marrante de Peter Pan, avec des incursions en téléportation de Monsieur Mouche dans nos bas-fonds si j’ai bonne mémoire, et j’avais bien aimé.

Mais là, alors là. Je ne sais pas si vous savez ce que c’est, d’entendre la voix d’un copain quand vous lisez sa prose, puis d’oublier assez rapidement que c’est lui qui a écrit ce que vous lisez tellement c’est bon ? Bé voilà, ça m’a fait ça – sauf, j’avoue, une fois ou deux, où certaines interjections sont tellement Nikolavitchiennes que je l’entends revenir comme un lutin debout son mon bouquin !

Mais la horde vêtue d’orichalque que crachait la nef ne percevait rien de tout cela, et les visières opaques étaient d’ailleurs là pour l’en empêcher. Elle s’investissait au service d’une conscience qui n’était pas tout à fait la sienne, tendue toute entière sur un objectif.

La grande foule des diacres n’était pas là pour admirer le paysage, mais pour détruire.

Ou être détruite.

Je dis Monsieur. C’est posé, comme style, efficace et ciselé.

Sans trop en déflorer, imaginez qu’à force de voyager à des vitesses supra-luminiques, on ait un peu déchiré l’univers et laissé entrer quelques créatures à la Cthulhu, les « Puissances ». Mais attention aux idées préconçues, ce n’est pas un crossover avec Lovecraft, c’est « à la », qu’ils sont, ces monstres, comme la sardine est à la provençale : ça reste une sardine de plein droit. Par réaction à l’intrusion des monstres, les Ecclésiarques ont banni la science qui a permis cette horreur, et les vaisseaux spatiaux sont des nefs de pierre portées par la Foi inébranlable des nautes, navigateurs qui ne sont pas sans rappeler la Guilde spatiale de Dune. C’est la guerre entre ce qui reste de l’humanité et les Puissances, compliquée par la présence d’hérétiques scientistes qui sembleraient commercer avec l’ennemi. Mais les lignes sont troubles, mais je ne vais pas vous en dire plus.

Quelques très beaux retournements de logique (croire à la théorie de science n’est que pure superstition, alors que la religion, c’est du solide) m’ont fait faire une pause dans ma lecture et trouver très malin de me forcer à prendre des distances avec le dogme scientifico-laïc (si l’on me permet ce grand écart) et à réfléchir à ce qui, le temps aidant, est devenu une évidence.

Des jolies références me viennent à l’esprit en évoquant Eschatôn : Dune, je l’ai dit, Cthulhu évidemment (complètement assumé par l’auteur), et puis de la construction d’univers et de planètes riche – par moments au début j’ai pensé à Asimov, puis un peu à Dick pour le côté foutraque avec un air de sérieux inébranlable. Mais attention, ce n’est pas réducteur pour moi, c’est même plutôt le contraire !

C’est une histoire bourrée d’invention (les ecclésiarques, le relaps, etc.), de culture (il m’agace ce mec, il est trop bien documenté), et puis on arrive à la dernière ligne, on tourne la page, et ah, déjà les remerciements après un dernier pied-de-nez de l’auteur (et il faut bien dire que ça ne doit pas être facile de terminer une histoire aussi alambiquée), le tout dans un univers cohérent et inédit comme je n’en ai pas lu depuis belle lurette.

Je recommande très fortement Eschatôn, si vous n’aviez pas remarqué jusque-là.

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