Écrire est une enfance, Philippe Delerm

Où l’on parle du « pourquoi » de l’écriture plus que du « comment. »

J’aime bien Philippe Delerm. Par moments, quand je fais mon méchant (quand je fais mon snob), je dis que c’est évident, Delerm est un genre de bloggueur qui publie simplement son blog sur papier.

Mais ça, c’est quand je fais mon snob. Et puis d’un seul coup, au détour de ce dernier achat, je fais le lien avec Sundborn ou les jours de lumière, dont je parlais ici même il y a quelques années. C’est décidé, la lumière de l’écriture chez Philippe Delerm le pose définitivement dans une bibliothèque ! Rendez-vous compte : j’avais oublié l’auteur d’une des plus jolies odes au bonheur que j’aie lues. Amnésie coupable.

Laissez-moi partager quelque phrases glanées dans Écrire est une enfance :

L’écriture est toujours la traduction d’un manque, d’une fêlure, une façon de déplacer les atomes de la réalité.

C’est joliment dit, ça se tourne en bouche comme ferait un sommelier des mots : « déplacer les atomes de la réalité. »

À mettre en écho des notes de Paul Auster sur l’écriture. Selon ce dernier, l’écriture est une obligation : « Je me sens mal quand je n’écris pas. Ce n’est pas que l’écriture m’apporte énormément de plaisir, mais ne pas écrire est pire. »

Une réflexion de fond :

« L’enfant, ce petit homme en devenir » […] Nous pensons tous les deux que l’enfance est l’essentiel. On peut mourir à cinq ou dix ans en ayant vécu plus haut et plus fort que si l’on avait connu ce qu’on appelle un destin. C’est l’intensité qui compte et, quelle que soit l’enfance, elle est toujours tellement plus intense que tout le reste.

[…]

Garder l’esprit d’enfance n’est pas seulement un privilège. C’est aussi une blessure. Se rappeler toujours qu’on a vécu plus fort avant, c’est accepter d’emblée que la vie soit une défaite.

C’est un aveu un peu triste, que je ne partage pas forcément. J’ai comme tout le monde perdu une partie de l’intensité, et une partie encore plus grande de l’insouciance, mais ce n’est pas pour ça que la vie est moins goûteuse (goûtue ?) à 42 ans qu’à 10. Au contraire, je dirais même que ce qu’elle a perdu d’un côté, elle l’a regagné de l’autre dans notre capacité à savoir observer et savourer ce qui nous arrive. Moins d’intensité, donc, mais davantage d’appréciation.

Sur la pratique de l’écriture :

Impossible d’écrire si l’on n’est pas lecteur. J’ai déjà insisté sur cette presque lapalissade. Mais impossible aussi parfois d’écrire parce que l’on est lecteur.

Oh oui, ô combien oui !

Vous ai-je déjà parlé d’une prof de littérature que j’avais à la fac ? [1] Elle était grande lectrice à tous points de vue : non seulement elle lisait beaucoup (moi non plus, je ne suis pas ennemi des lapalissades), mais aussi elle nous lisait des passages, nous donnait à lire d’autres textes, nous donnait enfin envie d’en lire encore plus, elle et quelques autres amoureux de l’anglais que j’ai eu la chance d’écouter.

Or donc, lors d’un dernier cours en amphi, elle fait une conclusion dont l’essence était : si l’un de vous, un seul d’entre vous, sort de ce cours avec l’envie d’écrire, alors je considérerai ma mission accomplie.

Assis vers le haut de l’amphi, je prends cette phrase pour moi, comme sans doute une bonne part des étudiants présents. Non pas qu’on rêve tous de devenir écrivains, mais au moins on aime assez la langue pour avoir envie d’écrire. Et depuis vingt ans je fais mes gammes !

Je préfère me balader libre dans les rues, avec mon regard de peintre qui ne sait pas peindre.

C’est exactement ça. Souvent j’aimerais être capable de dessiner avec « l’œil de l’esprit », ou prendre une photo qui montre réellement ce que je veux représenter. Peine perdue ! Par contre les mots sont plus malléables, se laissent dompter, un tout petit peu. Alors c’est sur eux que je jette mon dévolu.

En un mot comme en cent : il est plus difficile de parler des non-événements, de raconter le bonheur, qu’on ne le croit. Essayez, vous verrez. Et donc s’il faut conclure : Philippe Delerm a toute sa place dans une bibliothèque !

Notes

[1Son nom m’échappe à ma grande honte. C’est d’autant plus triste qu’en plus de la littérature classique et contemporaine, elle était tout aussi amusée par la toponymie dans L’incal. Un de ces jours je vous parlerai de ça, aussi.

Commentaires

  • Sacrip’Anne (19 avril 2013)

    J’aime beaucoup l’idée du regard de peintre qui ne sait pas peindre (et je crois que tu l’as, ça, toi).

    Quant à Paul Austère (huhuhu, oui je suis potache et j’aime ça), c’est triste, en effet. Si on considère que l’intensité est tout ce qui fait le bonheur, le sel de la vie.

    Mais d’abord on en garde beaucoup (l’amour de nos enfants est d’une intensité presque violente, parfois, nos convictions s’affirment pour certaines), et ensuite, il y a aussi quelque chose d’autre qui s’installe. Une sorte de sens des priorités qui nous fait aller vers ce qui fait le plus de bien. Non ?

    Quant à Delerm, j’ai un devoir de réserve, rapport que ça va, inévitablement, me lancer sur le fils avec qui j’ai des problèmes de fond depuis qu’il a décidé de se faire connaître :D

    Répondre à Sacrip’Anne

  • Stéphane (19 avril 2013)

    Sacrip’Anne : Ah non, Paul Auster réfléchit sur la nécessité d’écrire. C’est bien Philippe Delerm qui fait le constat sur l’intensité.

    J’écris donc avec les pieds, zutre. :)

    Je sépare nettement père et fils Delerm. Je ne suis pas fan des chanteurs catégorie peine-à-jouir (pardon my french, c’est vendredi) mais j’aime le travail du père.

    Répondre à Stéphane

  • Stéphane (19 avril 2013)

    Sacrip’Anne : j’ai corrigé le paragraphe sur Paul Austère (je suis potache aussi, ce qui est toujours mieux que de faire de la soupe : potache, soupe, vendredi quoi).

    Répondre à Stéphane

  • Sacrip’Anne (22 avril 2013)

    Ach, tu m’avais semée, indeed ! (Mais écrire avec les pieds, c’est une performance enviable ! :D).

    Quoi qu’il en soit et quelque auteur dont il s’agisse, tant qu’on trouve des mots à mettre sur nos vibrations, les nôtres ou ceux d’autrui, c’est signe d’une belle intensité... et d’une capacité à renouer avec l’enfant qui aime les histoires en nous !

    Pirouette, cacahuète !

    (huhuhu sinon pour potache, soupe, tout ça. Tant qu’on ne la sert pas, hein.)

    Répondre à Sacrip’Anne

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