Deux mois de lecture

Je n’ai pas le temps (l’envie ?) d’écrire des critiques développées, alors voilà un condensé pour les aficionados...

À la demande générale d’un lecteur, je vais vous parler de bouquins. Mon petit camarade Arnaud (vous ai-je seulement déjà parlé de lui ?) me demandait il y a peu par mail de lui raconter mes lectures : il faut dire que nous avons des mails éclectiques, tour à tour littéraires, culturels, iconoclastes, biographiques, cyniques, hystériques, gratuits, profonds, légers, et j’en oublie.

Voilà donc une petite liste de choses que j’ai lues ces deux derniers mois. Ou à peu près.

The curious incident of the dog in the night-time

Mark Hadden est quelqu’un de surprenant. Son livre est catalogué "enfants", puisque c’était jusque-là son fonds de commerce, auteur de livres pour enfants. Mais là ! Là ! Il nous propose un exercice de style : raconter comment un enfant autiste va devoir se surpasser pour conclure son enquête policière et découvrir qui a pu tuer le chien de la voisine.

C’est très amusant, plein d’ironie situationnelle. On pense au Petit Nicolas, par moments : deux niveaux de lecture sont offerts en permanence, le premier degré et la vue externe de l’auteur qui vous prend à parti, d’adulte à adulte. Je vous le recommande chaudement.

84, Charing Cross Road

C’est un roman pour les amoureux des livres. C’est pour toi, ça, Arnaud, tiens.

D’ailleurs, ce n’est même pas un roman, c’est la retranscription de la correspondance qu’a entretenue Helene Hanff, auteur de théâtre new-yorkaise, avec une librairie londonienne, où elle a commencé par commander des livres parce qu’elle ne trouvait pas son bonheur à New-York. Elle finit par se lier d’amitié sans les voir avec tout le petit monde de la librairie.

Ce recueil me renvoie à cet attachement au livre, proche du fétichisme, que je tiens de mes parents... le livre comme objet précieux, comme réceptacle magique de la connaissance : ne vous est-il jamais arrivé de vous asseoir dans une librairie, et de penser qu’au contact de tous ces ouvrages vous alliez ressortir plus riche, comme si par osmose leur savoir vous avait été passé ? Je sais que ça peut paraître bizarre...

J’ai donc fini par sourire gentiment à mon bouquin dans le RER (ne pas lever les yeux de peur de croiser le regard de gens qui vous prennent pour un fou), comme si finalement ces gens étaient devenus aussi mes amis. La postface m’apprend que des quantités incroyables de lecteurs ont ressenti la même étrange émotion. Ouf !

Farrago

Ce roman de Yann Apperry m’a laissé une impression mitigée. Au niveau anecdotique c’est très marrant. Je voulais faire une belle phrase (comme toujours) mais il ne me vient que ça : c’est très marrant. Un genre de série B du roman, mais de la bonne, de celle qui vous fait passer un très bon moment, qui finit bien pour tout le monde, et qu’on est content d’avoir lue.

Je suis très partagé sur l’écriture : c’est truffé d’anglicismes, à tel point qu’on croirait que c’est un roman américain mal traduit, alors que l’auteur est français. Le personnage principal, narrateur à la première personne, est un clochard sans éducation ; et pourtant souvent il emploie des mots d’intellectuel dans le bon contexte, comme si l’auteur avait voulu le dire plus simplement sans y parvenir. C’est très inégal, d’une phrase à l’autre, et ça m’a gâché une bonne partie du plaisir.

Mais, comme le dit Stéphanie (ma douce, pour ceux qui n’ont pas suivi), je ne suis plus capable de me laisser simplement porter par une histoire. "Tu dois être bien malheureux", me dit-elle, pleine d’ironie... Non, je ne le suis pas, j’ai l’impression au contraire de profiter plus richement d’une oeuvre si je peux la savourer à plusieurs niveaux (demandez à Ismaël de vous parler de mes soliloques sur les thèmes de Star Wars !).

À lire quand même, pour le plaisir. Des personnages attachants, des anecdotes abracadabrantes, des amours improbables, des maris-qu’on-croyait-morts-mais-non, des serial killers en liberté, une galerie de personnages délicieusement hétéroclite !

Breakfast at Tiffany’s

Faut-il présenter Truman Capote ? Comme tout le monde je connais son nom — parce que comme tout le monde je suis fasciné par ce nom qui évoque, en vrac, le toit dépliant sur les vieilles voitures, les petites choses en caoutchouc qui empêchent de faire des enfants, voire vaguement un homme politique américain... Le genre de nom qui fait partie de notre "paysage mental" mais dont on ne sait rien...

J’avais déjà vu cette photo sublime d’Audrey Hepburn, avec son petit chignon relevé et ses yeux, tellement pétillants, son fume-cigarette et sa robe fourreau de gala.

Et, par hasard, je trouve Breakfast at Tiffany’s à la librairie, et en version originale, en plus.

Je l’ai lu presque d’une traite, et la seule chose que j’avais à l’esprit, c’était "comme ce personnage doit bien aller à Audrey Hepburn, elle seule peut jouer ça".

Un vrai régal de légèreté, de pétillance (je me répète, mais revoyez la photo dont je parlais ci-dessus), une ambiance qu’on s’imagine entendre, un son de film des années cinquante. l’auteur restitue magistralement l’image d’Épinal qu’on peut se faire de New York à cette époque. C’est une histoire qui ne raconte rien, sauf la vie détachée et amusante d’une velléitaire qui ne sait pas se caser, et ne vit qu’à coups de billets donnés de bonne grâce par des soupirants dévoués. J’ai le sentiment d’avoir lu un livre à la fois sans histoire et inoubliable, ce qui est assez rare pour en parler...

Je viens donc tout naturellement d’acheter le DVD de ce film, après plusieurs recherches infructueuses où on me parlait d’imports à 45 euros. Forcément, le film a aussi un titre français : Diamants sur canapé. Merci donc au gentil Monsieur du rayon DVD de la Fnac de Lyon qui sait farfouiller dans sa base de données. Les voyages ont du bon. J’ai hâte de le voir.

(petit ajout tardif : je viens de le voir, et surprise, le livre est meilleur... ce qui n’enlève rien du charme d’Audrey Hepburn qui est exactement comme je l’imaginais... pourquoi Hollywood veut à tout prix une fin heureuse, voilà qui m’échappe)

La Part de l’autre

Éric-Emmanuel Schmitt est, paraît-il, l’auteur français le plus traduit du moment. J’étais donc naturellement méfiant, les masses n’étant pas forcément synonymes de bon goût (et une pierre dans le jardin de mes camarades qui ont raison de me trouver snob, une !).

Mais voilà un roman passionnant, où l’auteur compare, chapitre après chapitre, la vie connue de Hitler et celle qu’il imagine d’Adolf H., jeune peintre qui n’aurait pas été recalé à l’Académie des Beaux-Arts. On finit par oublier qu’Adolf H. est Hitler, et l’image mentale même qu’on a du personnage change : on fait sans s’en rendre compte de la physiognomonie, on le voit plus élancé, blond comme un autrichien... c’est troublant. On prend part à ses joies, on est triste quand il a de la peine, on s’y attache.

Plus que passionnant : fascinant.

Dans l’édition que j’ai lue, le journal d’Éric-Emmanuel Schmitt est joint en postface. C’est là encore passionnant, on suit tous ses doutes et on l’accompagne dans ses questionnements : après tout, nous dit-il, si on rejette aussi violemment l’idée du barbarisme d’Hitler, n’est-ce pas parce qu’on a tous, quelque part au fond, ce réflexe facile de rejet et de désignation des boucs émissaires ? Et parce qu’on a tous un petit quelque chose de veule qui nous répugne, et qu’on préfère rejeter sous la forme d’un monstre plutôt que de le questionner...

Merci Éric-Emmanuel Schmitt pour ce livre. Vraiment.

The invention of solitude

Paul Auster a consigné par écrit ses réflexions sur son père après la mort de celui-ci, dans deux chroniques, l’une à la première personne du singulier, l’autre à la troisième. C’est sensible et intelligent, ça pose beaucoup de questions sur l’écriture, l’art en général à travers l’acte d’écrire (qu’est-ce qu’on cherche quand on écrit ?), le souvenir que laissent les gens qu’on a aimés après leur mort (et par là-même on pourrait extrapoler aux questionnements sur la postérité, questionnements qui sont toujours plus ou moins à la lisière de la conscience quand on "fait oeuvre").

Dans un genre différent de ce à quoi il nous a habitués, Auster nous donne à lire son journal, et c’est bigrement intéressant, ne serait-ce que parce que ça rentre en écho avec le reste de son oeuvre : son travail est toujours sous-tendu par des réflexions sur la production artistique et les tensions qu’elle entretient avec l’autobiographie. C’est d’autant plus frappant ici que l’apparente immédiateté de l’écriture est contrecarrée par la production même de l’écrit. Rien n’est moins spontané que l’écrit, au final : on ne saura jamais ce qui relève du premier jet et ce qui a été relu et reformulé par la suite.

Ce n’est certainement pas le livre d’Auster que je conseillerais comme première lecture de cet auteur, mais c’est très enrichissant, et j’ai vraiment aimé. Sans compter qu’il nous renvoie évidemment à nos propres sentiments liés à la perte de proches, à ce que nous laisserons comme souvenir aux nôtres, etc.

Haroun and the sea of stories

J’avais un peu peur de lire ce livre. Vous savez ce que c’est, "lire du Salman Rushdie", ça fait partie de ces phrases toutes faites qui relèvent plus du monument impossible à escalader que de la partie de plaisir. L’auteur avait pour moi une aura d’intellectuel, mais je me suis facilement laissé forcer la main par un de mes camarades de jeux après qu’il a commencé à lire Sandman et y a trouvé des rapprochements (quand je résume Sandman, je commence assez souvent par dire que c’est une "histoire sur les histoires", comme le disait Gaiman lui-même si j’ai bonne mémoire).

C’est écrit comme un livre pour enfants, c’est frais comme un conte des mille et une nuits, et surtout c’est ludique, ça joue avec les mots et les fils d’histoires connues pour les tordre et les réinventer, c’est féérique, rien n’est impossible dans ce livre. Ça se dévore avec beaucoup de plaisir, idéal avec les vacances qui arrivent !

Allez, passons aux bandes dessinées, maintenant.

Mariée par correspondance

Kalesniko est un auteur de BD qui me laisse perplexe. J’aime ses histoires, qui pointent souvent du doigt, de façon plus ou moins directe, les défauts de la société nord-américaine (et donc la nôtre, qui n’en est pas si loin).

Dans cet album, il nous raconte comment évolue un couple composé à distance par un américain grand enfant qui a choisi sa femme sur un catalogue de jeunes femmes asiatiques. C’est fin, souvent bien vu : on reste interdit devant les petites choses qui font et défont ce couple. On pense à Moravia, par moments, pour la qualité de la narration (il n’y a rien de plus difficile que de raconter les petits riens).

Un américain en balade

Après le succès de Blankets en Europe, Craig Thompson se met à tenir un journal en images de ses pérégrinations de ce côté-ci de l’Atlantique. Ses notes donnent un carnet de voyage superbe (j’aime son pinceau, ou feutre, ou je ne sais quoi, mais j’aime). Il a une façon de raconter toute en ironie, pince-sans-rire, qui m’a conquis. J’étais resté indécis sur mon appréciation de Blankets, mais après la lecture de ce carnet je vais m’y replonger.

Désoeuvré

Ah, un Lewis Trondheim de plus ? Oui, mais pas n’importe lequel. Trondheim se creuse la tête, il cherche des réponses sur la pratique de la bande dessinée : comment peut-on faire le même métier toute sa vie avec le même plaisir et la même énergie ? Il croise bon nombre d’auteurs et s’entretient avec eux. Optimiste comme pas deux, il pourrait vite conclure qu’un grand auteur finit forcément sa vie dans l’alcool et la dépression nerveuse. Heureusement qu’il croise un Tibet qui lui prouve qu’on peut s’amuser toute sa vie...

Un petit bouquin assez court, vite lu, mais qui demande à être relu et encore relu, ce que je ne manquerai pas de faire. Attendez-vous à ce que j’en reparle.

Corps de rêve

Capucine est une jeune femme qui tient un journal en bande dessinée de sa grossesse. Je l’avais lu pour la première fois en ligne, avant de voir sur le site du Monde qu’il était édité par les très bonnes éditions du Cycliste. Je me suis donc précipité pour l’acheter. Capucine y croque tous les petits soucis, les inquiétudes, les petits et grands bonheurs de la grossesse. On s’y retrouve forcément, il ne passe presque pas une page sans qu’on se rappelle qu’on a vécu la même chose.

Sous couvert d’une petite BD rigolote, Capucine a réussi à pointer du doigt quelques invariants de la grossesse, et c’est bien vu, et très amusant.

Et la suite ?

Ah, je viens d’acheter le Démon de Midi de Florence Cestac (j’avais raté la première édition), Code Apocalypse, le douzième Soda (Tome et Gazzotti), le Guide de la Survie en Entreprise (Larcenet), et le dernier Monsieur Jean (Dupuy et Berbérian), sans oublier Luna Almaden (Clarke et Lapière) et Blue (Kiriko Nananan). Et je vous dirai juste que j’aurais sans doute encore beaucoup à dire avec ces quelques livres-là mais qu’il est l’heure de se coucher. À suivre, donc...

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