Ce n’est pas parce que je suis handicapé que je suis expert

Si vous me connaissez bien, vous m’avez déjà entendu radoter sur ce sujet. Sinon, cet article est fait pour vous ou pour quelqu’un que vous connaissez.

Voilà quelques années que je forme des gens à l’accessibilité, et il revient souvent le même refrain quand on parle des difficultés des utilisateurs handicapés.

Pour vous résumer la situation : j’explique qu’on consulte une page de telle et telle manière avec un lecteur d’écran, ou qu’on peut piloter un ordinateur à la voix avec un logiciel de dictée, enfin bref, comment des béquilles logicielles et matérielles permettent à tout un chacun de consulter le web. On regroupe tous ces outils sous le terme générique d’aides techniques.

Systématiquement, à chaque fois, les nouveaux venus sont ébahis par ces outils qu’ils ne connaissent pas. C’est presque miraculeux, pensez : un aveugle peut lire les pages web. Un tétraplégique complet peut faire du drag and drop rien qu’avec sa voix !

Et tout aussi systématiquement, quand j’explique comment il faut penser sa page web pour la rendre accessible, au moins une personne dans la salle s’étonne et me dit (je cite) « mais ça, ils ont un raccourci clavier pour le faire, non ? » ou « telle chose, ils doivent pouvoir le trouver avec telle combinaison de touche / telle fonctionnalité avancée de leur logiciel, non ? »

Disons-le une fois pour toutes : si vous êtes comme moi, rivé devant un écran la majeure partie de votre journée, vous avez fini par savoir très bien tirer parti de vos outils (tout comme mon voisin chauffeur de taxi sait très bien conduire sa voiture, beaucoup mieux que moi). Vous savez que tel menu contextuel vous simplifiera la vie, vous connaissez des raccourcis clavier, vous savez même passer en ligne de commande pour tuer une tâche, j’en passe et des meilleures.

Mais dans le vrai monde des gens qui ont une vie où l’ordinateur ne tient au mieux qu’une place périphérique, cette notion d’expertise est souvent faible, vous en conviendrez avec moi.

Où est-ce que je veux en venir ? Simplement à ça : le handicap ne donne pas de super-pouvoirs. Ce n’est pas parce qu’on est handicapé qu’on sait d’un seul coup, magiquement, régler aux petits oignons son interface, ou qu’on a au bout des doigts une kyrielle de raccourcis clavier, ou qu’on sait tout ce que savent les geeks. Pourquoi le simple fait d’être handicapé devrait d’un seul coup ouvrir à notre « utilisateur lambda » les portes de l’expertise technique ?

Au mieux, notre utilisateur, au terme d’un apprentissage qui peut être long et fastidieux, saura tirer parti de son outil — mais n’oubliez jamais que même quelqu’un qui connaît très bien un logiciel n’utilise souvent qu’une petite portion de tout ce que ce logiciel sait faire. Au pire, notre utilisateur restera aux balbutiements et subira l’outil informatique qu’il n’aura pas su dompter.

C’est notre rôle de développeurs, d’évangélistes techniques, d’experts (justement), de nous assurer qu’on peut utiliser les interfaces que nous contribuons à développer même si, surtout si, notre public n’est pas expert.

Alors répétons le titre de cet article et enfonçons une bonne fois pour toutes ce mythe qui apparaît à chaque formation : ce n’est pas parce que je suis handicapé que je suis expert.

Commentaires

  • Nicolas Hoizey (9 mars 2011)

    Merci, je fais tourner !!!

    Au passage, la troncature des URL a encore frappé, c’est très explicite ce "Ce-n-est-pas-parce-que-je-suis"... 😛

    Répondre à Nicolas Hoizey

  • Stéphane (9 mars 2011, en réponse à Nicolas Hoizey)

    Au passage, la troncature des URL a encore frappé

    Oui, mais comme je ne sais pas la réparer, je dis "euh oui dis donc" et je botte en touche. :)

    Répondre à Stéphane

  • Pierre (9 mars 2011)

    "vous savez même passer en ligne de commande pour tuer une tâche"

    Ah, toi t’es vraiment passé à Linux ! ;)

    Nicolas : mais non voyons, c’est un plugin pour faire du buzz 2.0. Le but du jeu c’est de deviner la fin de la phrase *avant* d’arriver sur la page et de voir le titre. Tu vas voir quand Stéphane écrira son prochaine article intitulé "J’ai un très gros débit, mais sans accessibilité, point de salut !"

    Pour en revenir à l’article, je reste quand même rempli d’admiration quand je vois les logiciels d’assistance technique, car franchement, certains d’entre eux ont l’air très franchement impossible à comprendre ou à prendre en main.

    Répondre à Pierre

  • Pierre (9 mars 2011, en réponse à Pierre)

    Et pardon pour les fautes, j’étais au travail et donc distrait.

    Répondre à Pierre

  • truffo (9 mars 2011)

    Excellent article qui résume bien la problématique. Je fais tourner

    Répondre à truffo

  • Jacques Pyrat (9 mars 2011)

    Excellent ! Et j’ajouterais que ce n’est pas parce que c’est telle agence web connue (je laisse chacun mettre le nom qu’il veut) que le travail réalisé est digne d’un expert !

    Répondre à Jacques Pyrat

  • Julien l’anonyme (9 mars 2011)

    ah ouais, on peut faire du drag and drop à la voix ?

    Répondre à Julien l’anonyme

  • Stéphane (9 mars 2011, en réponse à Julien l’anonyme)

    Je ne t’ai jamais montré ça ?

    Répondre à Stéphane

  • Catherine Roy (9 mars 2011)

    Allô Stéphane,

    Je crois que les gens font souvent l’erreur de cette présomption car les médias montrent plus souvent ces genres d’exemples, i.e. de gens hyper-compétents qui font des acrobaties époustouflantes avec leurs aides techniques, etc.

    Il faut dire aussi que la déficience dont on entend le plus souvent parler, la cécité ou autres troubles visuels, exige quand-même un minimum de maîtrise du matériel d’adaptation car sinon, ça va être long longtemps, comme on dit ici ;)

    Mais bien sûr cela ne garantit aucunement des virtuosos et cela dépend de beaucoup de facteurs, notamment, l’accès à des ressources de réadaptation et de formation adéquates, ressources qui ne sont pas toujours disponibles et abordables partout sur ce globe.

    Anyway, bon article. Définitivement un message qu’il faut répéter.

    Répondre à Catherine Roy

  • sanvin (10 mars 2011)

    juste un retour d’expérience,
    je me suis aperçu en fréquentant des salariés utilisant des aides techniques de compensation du handicap qu’en effet, un grand nombre ne le font que de façon à remplir leur tâche, faire le boulot, de façon presque "automatique". Ils ne sont jamais allés plus loin, l’informatique n’est qu’un outils et l’aide technique le moyen de tenir leur position de travail.
    Donc, à l’exception de quelques extra-terrestres, de vrai virtuoses, la maitrise est pour le moins parcellaire voir pire !
    a+

    Répondre à sanvin

  • Christophe C (4 juillet 2011)

    Petit bémol : ce n’est pas parce que je suis chauffeur de Taxi que je conduis bien ! [troll]

    Sinon le reste de l’article est juste et aux petits oignons :)

    Répondre à Christophe C

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