Colis suspect un jour d’hiver

Un colis suspect, un train, un jour de grève : c’est l’hiver qui commence.

Nous entendons l’annonce à la station précédente : « à cause d’un colis suspect notre train ne s’arrêtera pas en gare de Saint-Michel-Notre-Dame. »

Naïvement j’imagine que la station de RER a été vidée, comme cette fois à Bibliothèque François Mitterrand où nous avions été refoulés par les services de sécurité, loin des quais et de l’effroyable « colis suspect. »

Au passage vous avez remarqué le poids de certains mots qu’à force d’usage dans un contexte précis on charge d’un sens dramatique ? Avant, on aurait dit « une valise abandonnée. » Maintenant le moindre sac oublié devient une cocotte minute pleine de clous en puissance, la moindre pochette un pain de plastic susceptible de vous péter à la gueule.

J’imagine donc passer dans une station de RER aux allures désaffectées, et n’y voir que quelques représentants des services de sécurité, avec peut-être pour faire joli un périmètre marqué de rubans rayés pour montrer qu’on ne rigole pas.

Pas du tout : les quais sont pleins, comme d’habitude — peut-être même plus du fait de la grève du jour qui ne sert qu’un train sur deux (ou, dans mon cas, un train sur quatre).

Je ressens l’impression ubuesque que nous ne sommes pas dans le même espace-temps : le mien est celui de bombe sournoise, et les gens qui patientent me renvoient celui de la banalité d’une vie parisienne.

Je remarque une dame avec des bajoues et une doudoune en vieux rose qui n’écoute même pas les annonces, et fait la même tête que la mère de Cyprien en tapant péniblement lettre après lettre sur son téléphone.

Personne dans le train ne fait vraiment attention, je suis un des seuls à scruter le quai pour tenter de comprendre où est le danger, peut-être guigner le frisson du voyeur-pas-trop-près.

Après coup, comme une pensée qui aurait dû me sauter à l’esprit et qui réagit trop tard, je pense que je n’ai pas fait l’amour hier soir, pas serré assez fort mes enfants ce matin ; pensez donc, j’ai failli mourir en oubliant que chaque jour peut encore être le dernier.

Je chasse ces pensées tardivement funèbres en sortant sur le trottoir du quai.

La lumière froide m’accueille, légèrement floue, on ne veut pas savoir si c’est à cause d’une brume d’hiver ou de la pollution très haute relevée ces jours-ci.

Devant le Musée d’Orsay je reconnais le mélange que j’avais noté dans Hugo Cabret, où la gare Montparnasse est tellement proche de la Seine dans certains plans que non, vraiment, vous ne me ferez pas croire qu’ils ne l’ont pas mélangée avec la gare d’Orsay.

Sur le trottoir un monsieur avec un dogue de Bordeaux gigantesque prend toute la place entre une camionnette mal garée et le mur, je m’efface en admirant l’animal.

J’ai envie de pleurer et de rire et de crier et de courir. À défaut je souris à une belle inconnue. Qui, il faut bien le dire, me regarde bizarrement.

(Ce billet est affectueusement dédié à Sacripanne qui sait pourquoi.)

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