Shakespeare, le poète et le cheval

Souvenir littéraire de jeunesse, où l’on mélange allègrement Shakespeare, cheval, imposture et poésie.

Il y a bientôt vingt ans de cela, j’assistais à un colloque sur Shakespeare organisé par la Faculté d’Anglais de Tours. En tant qu’étudiants locaux nous avions eu moyen de profiter de l’événement. Nous venions de lire Jules César, j’étais donc bien au fait de l’histoire de Cinna, qui est le nom de deux personnages dans la pièce, un politicien et un poète, l’un servant finalement de bouc émissaire et étant tué à la place de l’autre à cause d’une méprise sur leur nom.

À la fin du colloque, j’ai écrit une petite imposture, que j’ai tapée et glissée dans une enveloppe, posée sur la chaise de mon prof, organisateur du colloque. À la demande générale d’un lecteur qui se reconnaîtra, voilà sa retranscription :

A Pleasantry in the Guise of a Preamble

OCTAVIUS :
[…] But he’s a tried and valiant soldier.
ANTONIUS :
So is my horse, Octavius, and for that
I do appoint him store of provender.
Julius Caesar, Act IV, Sc. 1, l.28—30
Come, Sirrah ! Let me divert your mind’s course,
Lest you stop me, that I talk of the horse.
’Tis a noble beast, alas I do fear
That we do not give tribute to Shakespeare,
For not e’en once spake we of the beast
Which the Master did put in all the feats.
In one word, ev’ry attendant uttered
His name, but never gave what deservéd
The horse : always was he named in speech,
Yet no orator could he ever reach.

In prose as in verse : Shakespeare nearly always uses horses in his plays ; orators always use horses in metaphors and set phrases ; yet no one treats horse as a subject worthy of a study ;

If the idea amuses but one reader, then is my speech aptly rewarded.

Cinna the Poet.

Ah oui, parce qu’il faut vous dire : le cheval en anglais est très présent dans les expressions toutes faites : « hold your horses » pour « tempère ton enthousiasme, » « let’s not put the cart before the horse » pour « ne mettons pas la charrue avant les bœufs, » etc.

Or les thèmes les plus divers ont été abordés dans ces deux jours de colloques, souvent moins liés à l’œuvre même qu’au sujet de prédilection de chacun des orateurs (j’ai encore le souvenir d’une chercheuse dont la spécialité était la spécularité [1] et qui avait cherché à tout prix à calquer son thème sur le sujet du colloque — selon moi à tort).

Bref, je piaffais [2] de voir le cheval évoqué dans un grand nombre de pièces de Shakespeare, utilisé en tant que figure de langue dans plusieurs conférences, et jamais étudié en tant que tel. Si l’on y réfléchit deux minutes, le théâtre de Shakespeare nous raconte des batailles, des gens arrivant à la cour ou chez tel ou tel noble : tous à cheval ! Or les conditions de l’époque ne permettent évidemment pas de mettre un cheval sur scène. De même qu’on évoque une bataille avec dix acteurs, on évoque le cheval sur la scène sans le montrer, pourtant la magie opère.

C’est un des éléments qui me fascinait (et me fascine encore).

Finissons l’anecdote : mon prof trouve cette lettre, et conclut le colloque en s’adressant « à Cinna », et en promettant que le sujet sera traité un jour. Quant à moi : ravi.

Il a évidemment ensuite passé quelques semaines à chercher qui pouvait être l’auteur de l’imposture, et quand je lui ai avoué il me disait que ses collègues faisaient souvent ce genre de farces.

[Insérer ici un épilogue shakespearien remerciant le spectateur de son attention et disant l’espoir de l’avoir quelques instants diverti.]

Notes

[1Parfaitement, la spécularité. Je laisse aux curieux le soin d’en trouver une définition qui parle au profane.

[2Calembour involontaire, mais ne boudons pas les plaisirs simples : je ne suis pas un mauvais cheval !

Commentaires

  • Sacrip’Anne (21 juin 2013)

    Sourire.

    Tu m’as à la fois replongée dans des souvenirs étudiants ET dans un univers Jasper Ffordien, ça va bien à un vendredi, merci !

    Répondre à Sacrip’Anne

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