Inachèvement

Deux extraits de Un début à Paris de Philippe Labro, en écho de la vraie vie.

J’ai déjà parlé ici de Franz et Clara, chef-d’œuvre de fraîcheur d’un jeune septuagénaire. Ces jours-ci je suis tombé dans Un début à Paris du même Philippe Labro, écrit il y a vingt ans, et là aussi d’un style virtuose.

J’ai noté ce passage :

Heureux de cette manière, aussi fortement secoué de bonheur, j’allais l’être encore plusieurs fois, mais cela ne dura pas plus d’une année, la première, jusqu’au moment où l’insatisfaction lucide prendrait le pas sur le plaisir béat d’avoir vu un texte que l’on a rédigé exister, imprimé sur du papier journal, avec, en plus, son nom au bas de l’article. Il suffirait, pour effacer cette vanité, qu’on se déniaise, et dans la profession du journalisme, cela survient vite ; le déniaisement est rapide, parfois immédiat. Le petit plaisir aveugle et égoïste fait place à un autre sentiment — mais il n’est pas moins fort, et si l’on n’est plus dupe, il demeure quelque chose de solide, puisque l’on tient entre ses mains le résultat de ce que l’on a vu, entendu, vécu, observé puis rapporté. On a écrit, on a été imprimé. C’est imparfait, incomplet, superficiel, certes, et cela n’aura pas une très longue durée, mais c’est là, ça va être là pour des étrangers, cela va exister dans l’imagination des autres… Et savoir cela procure, aussi, une espèce de bonheur.

Et aussi :

À partir de quand peut-on affirmer que l’apprentissage est terminé, que l’on domine son métier ? Les sages vous répondent que cela n’a pas de fin et vous les écoutez en souriant devant une telle platitude. À l’un de ses amis, Hemingway confiait : « J’apprendrai jusqu’à ce que je meure. Les crétins croient pouvoir dire qu’on a maîtrisé la chose. Mais moi, je sais qu’on ne l’a jamais maîtrisée et qu’on aurait toujours pu faire ça mieux. »

Je dois être un peu monomaniaque, mais j’ai pensé aux métiers du web. Notre travail est partagé avec des gens qu’on ne connaît pas, est éphémère, et sans fin nous sommes encore en train d’apprendre. Quand je parle avec Vincent, je suis toujours étonné du fait que tel outil qu’il testait il y a six mois n’a pas tenu ses promesses, et inlassablement il est déjà en train d’en tester un autre.

Nous savons bien lui et moi que notre apprentissage n’a pas de fin.

Commentaires

  • Nico (21 septembre 2012)

    Plus étonnant encore dans notre métier, plus j’apprends de trucs, et plus j’ai la sensation de l’immensité de ce qu’il me reste à apprendre. - citation de moi.

    Répondre à Nico

  • Stéphane (21 septembre 2012, en réponse à Nico)

    Nico : Non seulement ça, mais en plus loin de nous décourager, cette immensité reste aussi excitante qu’un nouveau territoire à défricher.

    Répondre à Stéphane

  • sanvin (21 septembre 2012)

    Ce besoin d’apprendre car toutes les technos avancent vite mais aussi le bonheur intellectuel de toujours en savoir plus explique ma passion pour les métiers de la conception web.
    Et plus j’en sait plus je veux en savoir, restons insatiable de connaissance !!

    Répondre à sanvin

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