Bandes dessinées : Hélas et Le Dernier des Mohicans

Ça faisait combien de temps que je ne vous avais pas parlé de bande dessinée ici ? Depuis des mois je suis dans un flux continu de projets, de Paris Web, un peu de Nouvelle Star aussi parce qu’il faut bien se détendre, et bien sûr d’enfants et de vie de famille déconnectée. Je ne me plains pas, mais bon. Il faudrait plusieurs vies, ou ne pas dormir. Je n’ai aucune des deux possibilités.

Hélas, Hervé Bourhis et Rudy Spiessert

Hélas, © Bourhis, Spiessert, Dupuis

J’aime la collection Aire Libre de Dupuis depuis ses débuts, c’est une de ces valeurs sûres comme sont Poisson Pilote chez Dargaud. Coïncidence, Hervé Bourhis y a aussi publié des albums.

Rudy Spiessert, je l’ai découvert dans Comme tout le monde (scénario de Denis Lapière) et au premier abord je l’ai trouvé un peu hiératique, j’ai eu l’impression (qu’on me pardonne) que les Dupuy-Berbérian, les Martiny-Petit-Roulet avaient un successeur dans le graphisme pleins/déliés, mais sans le talent. C’était raide et les personnages étaient difficiles à discerner. Pour autant en s’accrochant (parce que l’histoire était savoureuse), on finissait par s’y attacher.

En revanche là, pas moyen de confondre les personnages : nous sommes dans un Paris de début de XXe siècle fantasmé, où les animaux ont la place des hommes et où les hommes sont une race en voie d’extinction. On pense bien sûr à La planète des singes et à La ferme des animaux ; il y a pire comme références.

Les hommes se cachent dans les forêts, et quand on en attrape un vivant (ce qui ne s’est pas produit depuis que l’homme du Jardin des Plantes a été abattu en 1900) on découvre qu’il est équipé anatomiquement pour parler, malgré son mutisme.

On assiste alors à une course folle entre des animaux qui ne peuvent pas réfréner leurs instincts carnivores, d’autres, scientifiques éclairés, qui veulent être plus « humains » avec les humains ; d’autres encore veulent qu’on cache les humains parce qu’ils sont le germe de la déchéance animale.

C’est fascinant à plus d’un titre. D’abord, il y a des scènes troublantes quand le Tout-Paris est animal, et qu’on se surprend à penser à Gustave Caillebotte au coin d’une case où l’on voit un bourgeois marcher avec son enfant (comme si d’une certaine manière l’histoire était rendue encore plus réaliste par le brouillage entre le passé fixé sur la toile de Caillebotte et la fiction qu’on est en train de lire).

Ensuite, fascinant par la poésie de Paris inondée, avec la « Volière Eiffel » à l’arrière-plan, dans la brume.

Et puis, enfin, générateur d’une fascination morbide qui nous fait nous interroger sur notre condition d’animal dominant et omnivore (donc carnivore).

Je l’ai lu d’une traite, toutes affaires cessantes, dans un train de retour du travail.

Et, au passage, le dessin s’est foncièrement amélioré. Je suis admiratif du trait charbonneux qu’amène Spiessert, surtout par opposition au trait encré et hachuré des scènes du passé racontées par les protagonistes (artifice connu et pratiqué depuis longtemps, mais qui est tout à fait approprié, donc pourquoi se priver si en plus il réhaussse la qualité de l’ensemble ?).

(PS : j’ai chipé la couverture chez BoDoï, qui propose une interview d’Hervé Bourhis)

Le Dernier des Mohicans adapté par Cromwell et Catmalou d’après le roman de J.F. Cooper

Le Dernier des Mohicans, © Cromwell et Catmalou

Cromwell, drôle d’auteur dont je ne sais rien, à part qu’il a été membre (ou proche ?) du studio des Zylums dans les années 80, studio où traînaient les Ptiluc, les Arthur Qwak (un jour je vous parlerai du Soleil des Loups, magnifique série de Fantasy unique en son genre), qui a tiré la bande dessinée vers le haut par des dessins très exigeants, libérés de la contrainte du « propre » et portés par une envie impressionniste de représentation [1].

Il s’attaque au Dernier des Mohicans, un de ces monuments qu’on connaît tous sans en avoir presque lu aucun [2], et c’est formidable.

Le début est tout en focalisation interne, qui finit par le scalp du personnage central, ce qui rend la situation encore plus dramatique [3]. Je ne veux pas déflorer le reste de l’album alors que vous allez finir par vous ruer dessus, mais voilà au moins ce que je peux en dire : il y a là-dedans une puissance graphique comme peu souvent, une approche par moments impressionniste, presque abstraite, des couleurs [4].

Je n’ai pas envie de vous en parler plus que ça, je le répète : ce serait dommage de le déflorer trop. Mais attendez-vous à du talent brut, puissant, jeté avec une énergie folle et en même temps complètement maîtrisée. Bref, du grand art.

PS : et la couverture vient de chez bandedessinée.info. La prochaine fois je scannerai moi-même, mais exceptionnellement je n’avais pas de scanner à portée de main.

(Tiens c’est la première fois que j’achète un album chez Soleil. Tout arrive.)

Notes

[1Oui, c’est un jour à n’avoir pas peur des mots...

[2Petit quizz à deux balles : ami lecteur, toi qui sais quasiment tout sur eux, as-tu lu Frankenstein ? Dracula ? Faust ?

[3Vous allez croire que c’est mon article « démontons les artifices dans la joie », mais pas du tout : je suis réellement intéressé par les moyens en tant qu’ils sont liés aux effets produits.

[4Par un raccourci saisissant j’ai même pensé au Feux de Mattotti, une merveille qui a servi de maître étalon pour de nombreux auteurs éclos à la fin des années 80.

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