Mon attestation dans le litige entre Koena et Facil’iti

Je crois à la transparence et aux débats publics, et c’est comme ça que j’ai appris mon métier et que je continue à l’apprendre. Je décide donc de rendre public mon témoignage, rédigé dans le cadre de la procédure lancée par Facil’iti contre Koena. Il va de soi que cet article est rédigé en mon nom propre et ne saurait engager mon employeur, et que je n’y mentionne mon emploi que pour préciser le contexte où j’écris.

Stéphane Deschamps, le 28 octobre 2021

Objet : attestation relative au litige entre KOENA et FACIL’ITI

Je soussigné, Stéphane Deschamps, né le 18 décembre 1970 à Romorantin-Lanthenay (41), de nationalité française, résidant à l’adresse sus-mentionnée, occupant l’emploi de Référent Accessibilité numérique au sein d’Orange France (Direction Digitale Grand Public), sachant que la présente attestation est établie en vue de sa production en justice et que l’établissement d’une fausse attestation est susceptible d’exposer son auteur à des sanctions pénales, atteste de ce qui suit :

Je connais les obligations légales qui s’appliquent à une entreprise ou un service public du fait de la loi du 7 octobre 2016 pour une République Numérique et de son décret d’application du 25 juillet 2019. À ce titre, un site web doit se conformer au RGAA 4 ou aux WCAG 2.1 AA, respectivement Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité et Web Content Accessibility Guidelines (Recommandations d’accessibilité des contenus web). Dans le cadre de ma mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage, c’est moi qui suis chargé de porter ces obligations à la connaissance des projets. Je coordonne la formation de nos collaborateurs et la recette des designs et des sites livrés.

Les obligations légales portent notamment sur la sémantique HTML de la page servie à l’utilisateur (autrement dit, le code sous-jacent aux contenus visibles), ainsi que sur le bon usage de balises et d’attributs (par exemple : décrire correctement le contenu d’une image afin de la rendre compréhensible par une personne aveugle, ou permettre de naviguer au clavier sans devoir recourir à une souris) – cette liste n’étant pas exhaustive.

À ce titre, un site internet doit être conforme aux référentiels. Cette conformité est le résultat d’un travail de fond de la part de l’entreprise ou du service public producteur du site web.

Je suis parmi les instigateurs de Confort+, solution d’aménagement de l’affichage de la page telle que rendue par le navigateur à l’utilisateur. À ma connaissance, c’est ce que fait aussi Facil’iti.

Cette solution Confort+, développée par Orange depuis une dizaine d’années, a pour but d’améliorer l’expérience d’utilisation pour une personne en situation de handicap. Nous l’avons explicitement décrite de la manière suivante : elle « offre une aide importante aux utilisateurs ayant un handicap moteur, visuel ou cognitif (dyslexie par exemple), et améliore l’expérience utilisateur pour tous », parce que nous savons qu’un tel service ne permet pas de rendre accessible un site web. Nous avons même constaté en testant Confort+ sur de nombreux sites web qu’il pouvait parfois mettre en évidence des erreurs importantes d’accessibilité, allant jusqu’à rendre le site encore plus inaccessible.

Un outil qui ne fait qu’aménager en fin de course un site web ne le rend pas accessible au sens de la loi, même s’il peut grandement améliorer l’expérience pour une personne malvoyante ou ayant des difficultés cognitives ou motrices.

Comme je le mentionne dans mon article « Un truc en javascript ne rend pas magiquement un site accessible » :

Rendre un site le plus accessible possible implique deux choses je pense : tout d’abord une adhérence forte à des bonnes pratiques, notamment (voire surtout) les WCAG (Recommandations d’accessibilité des contenus web). Ces bonnes pratiques permettent autant de penser le design que le code et le fonctionnement du site. C’est ce qu’on pourra appeler l’acessibilité a minima — et on ne peut pas en faire abstraction.

Ensuite, en parallèle on peut évidemment (c’est même recommandé) travailler sur l’expérience utilisateur du site web, et c’est là qu’interviennent les widgets d’adaptation graphique et de comportement de la page, qui permettent, au-delà de la conformité à des règles génériques, d’apporter la personnalisation dont certains utilisateurs ont besoin.

C’est seulement la conjonction de ces deux démarches qui permettra de satisfaire au mieux aux besoins de nos utilisateurs dans leur variété.

En résumé, l’accessibilité numérique doit avant toute chose être portée par une démarche de conformité légale et technique, cette dernière ne pouvant pas être satisfaite par une solution d’adaptation de l’affichage du produit final telle que Confort+ ou Facil’iti.

Pour finir je veux préciser mes relations avec Koena et Mme Armony Altinier. Je n’ai ni n’ai jamais eu aucune relation contractuelle avec Koena, que ce soit à titre personnel ou professionnel. Je connais depuis un certain nombre d’années Mme Armony Altinier, consœur dont je respecte l’opinion et le travail, ce qui n’empêche pas que nous ne soyons pas toujours d’accord sur certains sujets. C’est d’ailleurs l’occasion pour nous de débattre (y compris publiquement lors de conférences) tant de nos pratiques que de notre approche sociétale du handicap et de l’accessibilité.

Merci de m’avoir lu. Vous pouvez vous référer à Assignation de Koena par FACIL’iti au Tribunal de Commerce et aux conclusions déposées par Koena ce 12 novembre pour tout le déroulé de l’histoire.

PS : je ferai bien sûr un lien vers les conclusions de Facil’iti si elles sont rendues publiques.

Commentaires

  • Arnaud (15 novembre 2021)

    Clair, factuel, sourcé. Bravo pour ce témoignage qui ne peut qu’éclairer le débat... et le litige entre Koena et Facil’iti (en espérant que ces derniers aient vraiment envie de débattre).

    Répondre à Arnaud

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