Laissez-moi vous parler de Natacha. C’est une des personnes les plus cultivées que je connaisse. Elle est versée en langues, parle sans effort l’anglais, l’allemand, et je crois savoir qu’elle connaît beaucoup de russe et d’hébreu (yiddish ?).
Elle a de l’art plein la tête, et du cinéma et de la littérature, et puis du design, et puis de l’éthologie, et puis et puis — et puis elle me scie parce que moi qui me sens toujours plus ou moins obligé de citer telle ou telle personne, elle en connaît toujours dix fois plus que moi. Chaque discussion, j’apprends un truc. Elle me fait l’honneur de m’écouter babiller en retour.
Elle m’a beaucoup, beaucoup apporté. J’ai des livres dans ma pile depuis dix ans parce qu’elle m’a mis le doigt dessus.
C’est bien joli tout ça, mais aussi (surtout) on se marre beaucoup, avec elle. Parce qu’en plus elle est très fantasque, vivante, courageuse et forte. Elle a eu un cancer il y a longtemps, qui lui a laissé des allergies alimentaires. Alors on discutait de sa venue prochaine à la maison, on avait déjà choisi la recette et fait l’inventaire des ingrédients pour nous assurer qu’elle n’aurait pas de souci.
(Mais on n’était pas vraiment dupes, elle et moi. La dernière fois qu’on s’est parlé, entre deux rires comme avant, elle m’a dit que celui-là était douloureux, et qu’il était partout en elle, et que c’était définitif. Mais on continuait à causer tranquillement, parce que c’est bien d’être tranquilles ensemble. Et on riait, parce qu’elle était comme ça et que c’était chouette, et qu’au téléphone je ne pouvais pas être autrement avec elle, surtout maintenant. Il fallait être là pour elle, pour qu’elle puisse parler normalement en toute liberté le plus longtemps possible. C’était peut-être plus facile au téléphone, va savoir.)
On a fait plein de trucs ensemble. Parlé des trucs du web, monté des sites aux petits oignons que tu n’as jamais vus, échangé sur des conférences, discuté sans fin sur tout, l’amour, la famille, l’art, l’étymologie, la littérature, les langues bien sûr.
Et on a souvent et beaucoup parlé de faire la paix avec la vie, aussi.
J’ai mis longtemps à trouver le mot qui lui convenait, en plus de « bonne copine » ; il me vient à l’instant : c’était une de mes mentors.
Je peux le dire maintenant, elle ne peut plus s’en défendre ni en rougir : j’ai beaucoup de chance de l’avoir connue de si près.
Une grosse pensée pour ses enfants.
Crédit photo : EuroIA2016.