Grève du 5 décembre : demain, je suis gréviste

Alors oui, ça faisait longtemps, mais là je fais grève.

Quand j’étais fonctionnaire, dans une autre vie, je faisais grève assez souvent. C’est que j’y croyais encore beaucoup, à l’époque. On me reprochait souvent notre vil corporatisme, sans réaliser (d’ailleurs, pas plus qu’aujourd’hui) qu’on faisait aussi grève pour les autres.

Il ne faut jamais oublier que quand on a peur de perdre son emploi, on est forcément plus craintif. Par exemple, quand les enseignants sont en grève (trop souvent, diront les grincheux), c’est généralement pour défendre les enfants (même ceux des grincheux) et leur avenir, à travers la défense de leurs conditions de travail.

Et puis trente ans passent comme un rien et on se rend compte que la gauche vaut la droite dans l’immobilisme, qu’il n’y a plus eu de vraie gauche en France depuis 1936 ; la droite va un poil plus loin dans l’immonde égoïsme, mais bon, on est habitués : plus t’en as, plus t’en veux.

Entre temps j’ai été assez occupé à profiter comme peu de gens de l’ascenseur social, les nouveaux métiers apparus grâce aux nouvelles technologies ont infléchi vers le haut ma trajectoire de fils d’ouvriers.

Alors, en vrac, pourquoi je fais grève ?

Parce que la proposition de réforme des retraites de l’équipe de M. Macron est une de trop, qui enfonce un clou de plus dans le modèle social solidaire français, après l’assurance chômage :

Entrée en vigueur ce 1er novembre, la réforme de l’assurance chômage risque pourtant d’assombrir encore le quotidien des demandeurs d’emploi. Pourquoi ? D’abord parce que le nombre de personnes indemnisées va brutalement chuter, passant de 2,6 millions à 1,3 million. Ensuite parce que, à compter du 1er avril 2020, le montant moyen des indemnités va dévisser […].

Bientôt l’AAH (Allocation Adulte Handicapé) va être impactée aussi : dépistons tous ces sales handicapés qui profitent du système !

C’est bien connu que le pauvre est un truand avide de passer vicieusement entre les mailles, alors que le riche est une biche effarouchée devant tant de malhonnêteté. D’ailleurs, c’est bien simple : les riches profitent honnêtement de l’optimisation fiscale, et ce n’est quand même pas de leur faute si on a aboli l’ISF, si ? Que je vous raconte : j’ai été pendant un moment l’heureux destinataire de maints appels téléphoniques pour défiscaliser mon revenu. Je demandais systématiquement aux gens qui m’appelaient de me dire en quoi rouler sur des routes gratuites, ne pas payer l’école pour leurs enfants, ou voir leurs frais médicaux couverts par la collectivité pouvaient être désagréables ? Comment pouvais-je vouloir me désolidariser de la démarche ? Deux réactions possibles : soit fébrilement ils cherchaient une réponse toute faite dans leur cahier de réponses et se trouvaient fort dépourvus, soit ils lâchaient rapidement un « bon, je ne vous dérange pas plus longtemps. »

Bref, mon vrai, grand privilège matériel c’est d’avoir suffisamment d’argent pour pouvoir payer des impôts, des cotisations (quel grand benêt je suis, hein ?).

Je crois beaucoup à un principe important, tant dans le fondement des institutions de mon pays que dans l’économie européenne (ce que n’ont pas compris les brexiters) : chacun paye en fonction de ce qu’il peut payer, et reçoit en fonction de ses besoins.

(Au passage j’ai découvert hier que « De chacun selon ses forces à chacun selon ses besoins » est une devise anarchiste — Louis Blanc, merci Le Nouvel Essai ! Je vais peut-être finir anarchiste, qui sait.)

Parce que cette réforme nuira encore un peu plus aux femmes qui n’avaient déjà pas besoin de ça vu les écarts de salaires et les parcours professionnels qui n’ont rien à voir avec ceux des hommes.

Parce que c’est « universel » le mot-clé, et que ça concerne donc aussi bien le privé que le public. Et ça va bien, bien dévisser. Sauf évidemment pour les gens qui auront pu mettre de côté via des systèmes privés, systèmes qui ne sont pas à la portée de tout le monde (et sont bien fragiles, voir la crise des subprimes).

Parce que je vis dans un milieu privilégié, où on commande sur Amazon, sur Über Eats, sur Frichti (exploitation capitaliste, précarité, empreinte écologique : c’est le bingo de la responsabilité sociale !), et qu’on parle plus volontiers des derniers joujoux hors de prix et à l’empreinte écologique déplorable d’Apple et consorts que des gens qui n’ont rien à manger. J’aimerais pouvoir vous dire que mon milieu sera majoritairement solidaire demain, je ne peux qu’en douter.

Parce que peut-être que je mélange tout, mais cette réforme est la dernière goutte d’eau que je peux supporter venant de la clique capitaliste :

Comme Sarkozy, Macron croit s’en sortir en agitant sous notre nez l’habituel contre-feu raciste sur l’immigration, l’islam, « l’identité profonde de la France », les migrants et plus... si affinités avec Marine le Pen !
Mais, nous, on n’oublie pas et on a fait l’addition de ses derniers méfaits après la suppression de l’ISF, la baisse des prélèvements sur les dividendes et autres produits financiers :

  • durcissement des conditions d’indemnisation des chômeurs, plus de 3 milliards d’économies et plus d’un million de chômeurs qui pourraient perdre des droits,
  • avec un hôpital déjà en lambeaux, un plan d’économies de 4,1 milliards pour 2020.

Macron et son gouvernement tapent plein pot dans les dépenses sociales pour donner aux plus riches. D’ailleurs, il est impossible au gouvernement de justifier ses mauvais coups par d’éventuels déficits : le retour à l’équilibre de l’UNEDIC était prévu pour l’an prochain !

Quant aux retraites, tout le monde s’accorde à dire qu’il n’y a aucun déficit conséquent à l’horizon.

Pour finir, on lira avec profit le travail bibliographique de Joachim sur le droit de grève.

Quant à moi, demain, au lieu d’aller travailler, je remplirai et j’enverrai mon bulletin d’adhésion à un syndicat. Il n’est que temps.

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