Sur le conseil d’une bonne camarade, je viens de voir un reportage extraordinaire, qui résume un tas de questions qui m’intéressent depuis quelques années, et en particulier depuis les deux dernières.
J’ai d’abord lu il y a un certain temps Stumbling on Happiness de Daniel Gilbert, qui explique notamment qu’on est souvent plus heureux après une grosse épreuve parce qu’on savoure davantage ce qu’on a : le fait d’être vivant, d’être entouré, en bref la capacité à count one’s blessings (mesurer les bonnes choses de sa vie).
Il parlait notamment de gens qu’on prend pour forcément moins heureux que soi parce qu’on mesure à sa propre aune leur malheur supposé ; ainsi de sœurs siamoises qu’on sépare et qui disent être moins heureuses maintenant.
Depuis j’ai lu un peu de Matthieu Ricard (L’art de la méditation), j’ai parlé avec un mien camarade qui, grâce à la méditation, a même pu réduire les antidouleurs après une grosse opération chirurgicale. J’ai un peu médité, lu sur la méditation comme moyen d’être dans le « ici et maintenant », premier moyen de se défaire d’un naturel soucieux en partant d’un principe simple : ce qui est passé est inchangeable, ce qui n’est pas encore arrivé ne mérite pas qu’on s’en inquiète puisque tout est encore possible.
Ce documentaire interroge des gens du monde entier, montre étude à l’appui qu’un conducteur de rickshaw est aussi heureux qu’un occidental alors que notre ethnocentrisme nous amène à penser qu’il ne peut pas être heureux parce qu’il n’a pas tout ce que nous avons. On rencontre aussi des Danois qui vivent en communauté – ce ne sont pas des remix de communautés hippies, mais une vraie culture très implantée, apprend-on, de vie en communauté. Une vingtaine de familles vivent ensemble, chacune a son propre appartement mais la nourriture se fait en commun, la supervision des enfants et des personnes plus âgées aussi. Évidemment on fait un détour par Okinawa, l’île qui compte un record du nombre de centenaires par habitant.
On y voit aussi que ce n’est pas l’aisance matérielle ou la réussite professionnelle (implicitement on parle bien d’argent, là) qui rend heureux, mais qu’au contraire être heureux attire la bonne fortune. Ce n’est pas une incantation magique, c’est le constat que, par exemple, être heureux vous rend plus agréable à côtoyer, augmentant ainsi notamment la tendance à collaborer avec vous de la part de vos collègues (boucle vertueuse en retour, la plupart du temps – bon il y aura toujours quelques connards, mais voir ci-dessous).
Quelques leçons qui sortent de ce documentaire [1]) :
- La colère est nuisible à l’individu [2].
- L’empathie, en particulier quand elle est « active » (aider l’autre par exemple, ou avoir des activités au service de la communauté), donne une plus grande satisfaction que l’égoïsme [3].
- Acquérir des biens ne sert qu’à entretenir un « manège hédoniste » (j’aime le terme) qui a besoin de se renouveler sans cesse : ce que j’ai acquis ne me satisfait plus, vite achetons autre chose.
- L’argent ne fait pas le bonheur, il y contribue, mais pas tant que ça finalement [4].
- Les cellules du cerveau liées à la dopamine (« l’hormone du bonheur »), axones et neurones, sont bien plus nombreuses chez les enfants et presque absentes chez les patients atteints d’Alzheimer. Il n’est pas évoqué dans le reportage de relation de causalité, et il faut bien sûr se méfier toujours des corrélations statistiques, mais ça ne fait pas de mal de se rappeler que l’enfant a une grande capacité au bonheur : se soucier moins ne coûte pas cher, s’amuser comme un enfant non plus.
Mais le bonheur alors, pourquoi faire ? Hé bien parce qu’il donne meilleure santé, pardi ! Se référer ici à l’expression « se faire un ulcère », penser aux gens qui se tuent littéralement au travail au Japon sans y trouver même de satisfaction (le documentaire consacre d’ailleurs quelques minutes au karoshi, la « mort par excès de travail »).
En résumé, pour ma part :
- Je tâche de plus en plus de me tenir éloigné des croisades sur les réseaux sociaux. Au final c’est nocif même si on pense prêcher la bonne parole : on se fatigue, on s’énerve, on ne vit pas mieux. La polémique en canapé m’est toxique, je m’en tiens donc éloigné.
- Je retrouve dans ce documentaire ce qu’empiriquement je savais : une famille tranquillement liée et contente de se retrouver, des amis proches, c’est très bénéfique.
- J’apprends à me réjouir des choses qui vont bien (les belles réalisations autant que les bons moments) plutôt que de me plaindre de celles qui me déplaisent [5].
- Je pars du principe (enseigné notamment par Matthieu Ricard) que les gens perçus comme méchants ne le sont pas vraiment, ils ont souvent leurs propres épreuves et sous les apparences sont souvent à plaindre. Ça aide drôlement à vivre, quand on ne pense pas être entouré de gens qui vous veulent du mal. Il me reste à travailler sur la « compassion envers celui qui me fait du mal » (ou une expression du même genre), notion importante dans la méditation et qui, nous apprennent les neurologues, est un générateur très important de bonheur (mesurable avec un scanner, c’est fou quand on y pense).
- Je donne à mes enfants le plus de clés possibles pour être heureux, à commencer par savoir savourer les petites choses, le plus souvent possible (et savourer encore plus les grandes choses évidemment) [6].
- Il faut beaucoup se marrer (check, sur ce point-là je prends ma médecine tous les jours : il ne m’arrive quasiment jamais de ne pas rire de la journée, même tout seul !).
Bref, ce documentaire, à certains moments émouvant mais jamais niaiseux, est surtout très constructif et sérieux, fait même un détour par le Bhoutan, pays qui a décidé d’indexer sa croissance sur le bonheur de ses habitants, partant du principe que la croissance économique a tellement d’effets secondaires néfastes (santé des citoyens, écologie détruite, etc.) qu’il faut trouver d’autres chemins.
Un peu plus d’une heure d’intelligence et de bonheur, on ne va pas se passer de ça, si ?
Happy, documentaire de 2011 de Roko Belic : à voir.